Detroit. Cette ville ouvrière, située dans le Michigan, est mondialement connue grâce à Eminem. L’enfant de Detroit avait déclaré à propos de sa ville : « Je viens de Detroit. C’est un coin assez chaud, et je ne suis pas un mec très doué pour éviter les conflits. », laissant ainsi entendre que la ville est plutôt propice à la castagne si l’on tombe sur les mauvaises personnes. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que Detroit soit devenue une ville tout aussi connue des fans de rap que des fans de boxe.
Si l’on en croit les dires d’Eminem, les habitants de Detroit auraient la bagarre dans le sang. Mais tous les patelins où l’on se castagne gaiement ne sont pas devenus des villes mythiques pour autant. Non, Detroit avait ce petit quelque chose en plus. Ou plutôt, ce petit quelqu’un en plus. Ce quelqu’un, c’est Emanuel Steward.
Né en 1942, Steward a toujours été un grand fan de boxe : « Quand j’étais petit, je voulais devenir peintre. Mais quand j’ai commencé la boxe, je ne voulais plus faire que ça de ma vie ». Boxeur talentueux sur la scène amateur, il est contraint d’arrêter sa carrière pour subvenir aux besoins de sa famille. Voulant tout de même rester en contact avec ce sport qu’il aime tant, Emanuel décide de devenir entraîneur au Kronk Gym, qui est alors une modeste salle pour boxeurs amateurs. Aidé par son expérience et son solide bagage technique acquis au cours de son parcours amateur, il va faire entrer cette petite salle de quartier dans une autre dimension, et laisser sa marque.
Le style Kronk : il faut que ça claque
Bien avant de remarquer leur aspect technique, les adversaires qui affrontaient les boxeurs issus du Kronk Gym remarquaient une chose : leur short. Véritable marque de fabrique de la salle, ce short aux couleurs particulières (un jaune très vif) est peu à peu devenu synonyme de terreur pour qui affrontait un boxeur portant ce fameux « golden short ». Car affronter un combattant entraîné par Manny Steward était une terrible expérience, que certains ont comparé à un orage : on le sent venir, mais on ne peut rien faire pour l’éviter, et il n’y a pas d’autre choix que de subir.
Le taulier du Kronk avait donné à ses élèves un style bien précis, et aussi flamboyant que le fameux short doré. Un subtil mélange d’agressivité, de technique et de rapidité. Le boxeur type issu de cette école est un boxeur qui combat à mi-distance, qui met la pression et avance en permanence vers son adversaire. Tommy « The Hitman » Hearns, boxeur phare du gym, incarnait mieux que quiconque ce style Kronk. C’était un boxeur techniquement très propre, qui savait faire usage des techniques les plus basiques à la perfection. Le jab, l’arme de prédilection des boxeurs au short doré, était travaillé inlassablement à l’entraînement, Emanuel Steward étant convaincu que le jab était la pièce maîtresse dans l’arsenal de tout boxeur qui se respecte. Ce jab maîtrisé à la perfection permettait d’enchaîner avec des combinaisons agressives, en avançant vers l’adversaire, et rendues d’autant plus efficaces par ce travail d’approche et de cadrage effectué auparavant avec le jab. Certains ont tenté de combattre le mal par le mal et de contrer l’agressivité des boxeurs de Detroit en étant eux-mêmes encore plus agressifs…et ont alors encaissé d’énormes contres, marque de fabrique de la maison Steward.
« Quand j’ai senti ce type me cogner […], j’ai su que j’allais passer un mauvais quart d’heure »
Dire que ce style est efficace serait un euphémisme. C’est un style dévastateur, comme en atteste le palmarès de Hearns : 67 combats, 61 victoires, dont 48 par KO. Véritable porte-étendard du Kronk Gym, « The Hitman » est indissociable de l’emblématique salle, qui a profondément transformé son style. Celui qui était auparavant un amateur à la puissance très modeste s’est peu à peu mué en un terrible cogneur, figurant parmi les meilleurs de l’histoire. Le style insuflé par Manny Steward à son poulain a fait des merveilles, et permit à ce dernier de rivaliser avec les plus grands de son époque : Sugar Ray Leonard, Marvin Hagler ou encore Wilfred Benitez. Mieux encore, ce style Kronk lui aura permis d’obtenir sa plus prestigieuse victoire, lorsqu’il s’imposa par arrêt de l’arbitre face au redouté Roberto Duran.
De nombreux boxeurs impressionnés par la domination sans égal du prodige du Kronk Gym se sont alors pris d’intérêt pour la fameuse salle de Detroit. Ce fût notamment le cas de Wilfred Benitez, qui avait été vaincu par Hearns quelques années plus tôt. Benitez avait alors expliqué son choix à la presse locale : « Quand j’ai senti ce type me cogner comme une brute tout en me contrant avec autant de facilité, je me suis dit que j’allais passer un sale quart d’heure. (Après le combat), j’ai demandé autour de moi qui était ce Manny dont tout le monde parlait. Je ne le connaissais pas, donc je me suis présenté à lui. Il m’a accueilli à bras ouverts et m’a proposé de s’entraîner ensemble.«
Fort du succès de la salle à Detroit, Emanuel Steward décide d’ouvrir une seconde salle à Tucson, dans le Nevada. Les années 90 se passent sans encombre pour cette salle devenue petit à petit une entité à part entière, qui continue à façonner des champions du monde, comme le terrifiant puncheur Gerald McClellan.
Malheureusement, les années passant, de plus en plus de boxeurs parviennent à décrypter le style Kronk, et la salle perd peu à peu de son intérêt. A tel point que lors de la fermeture de la salle en 2006, personne ne semble s’émouvoir de voir l’une des salles les plus mythiques du noble art fermer ses portes. Le décès de Manny Steward en 2012 ne fera qu’empirer les choses, et la salle, déjà à l’abandon depuis de nombreuses années, devient un taudis qui sera emporté par les flammes d’un incendie en 2017.
Kronk 2.0 : une histoire de famille
En bon père de famille, Emanuel Steward se plaisait à répéter que sa salle était comme une famille. Et c’est précisément de la famille Steward que viendra le salut de la salle aux murs dorés. En 2010, un grand dadais irlandais de 2m06 pousse les portes de la salle de Detroit. Ce modeste boxeur poids lourd de 22 ans possède un palmarès assez terne comportant une dizaine de victoires. Les années passant, ce boxeur faussement pataud se fera connaître du monde entier lorsqu’il deviendra champion du monde des lourds en battant Wladimir Klitschko à la surprise générale. Désormais au sommet de son art, Tyson Fury dira à qui veut l’entendre que sa victoire surprise est le fruit de sa collaboration avec le neveu d’Emanuel Steward, « SugarHill » Steward. Ce dernier a repris l’héritage légué par son défunt oncle et entraîne ou a entraîné les plus grands noms de la boxe des dix dernières années.
En février 2020, avant d’affronter Deontay Wilder dans un combat revanche pour le titre WBC des lourds, Tyson Fury avait déclaré en conférence de presse : « Je ne m’en cache pas : je veux gagner par KO. C’est pour ça que j’ai décidé de retourner au Kronk, pour m’entraîner avec Sugarhill. »
A l’écouter, Kronk ne serait qu’une simple usine à fabriquer des gros cogneurs. Si la puissance de frappe est certes une des caractéristiques de la célèbre salle de Detroit, il serait néanmoins réducteur de la réduire à cette seule dimension. A l’image du style de Tyson Fury, celui de Kronk est tout aussi complet et imprévisible : un mélange de d’agressivité, de puissance, et de technique.
Depuis Adonis Stevenson, plus aucun boxeur n’avait porté le « golden short« , véritable icône du Kronk gym. Tyson Fury rétablira cette tradition, en portant un short vert entouré d’or pour le combat le plus important de sa vie face à Deontay Wilder.
Un clin d’œil au légendaire short doré, emblématique de cette salle à son image : faussement modeste, peu académique, mais terriblement efficace.